Que peuvent avoir en commun la chanteuse soul Toni Green et le groupe de soul-blues Malted Milk ? La réponse est simple : Milk & Green font partie des secrets les mieux gardés du rhythm & blues actuel. Pour avoir uni leurs forces en enregistrant ce qui pourrait bien devenir l’un des albums phare de la décennie, il y a fort à parier que ce double secret ne tardera pas à s’ébruiter.
Originaire de Memphis où elle a longtemps œuvré dans l’entourage du grand Isaac Hayes, Toni Green a connu des débuts musicaux précoces : « Mon père était musicien et tout le monde venait répéter à la maison. Les Bar-Kays, les Mad Lads, tout ce que la ville comptait de musiciens. » Après avoir fait ses gammes au sein des Imported Moods, un ensemble vocal torride comme les aime sa ville, Toni rejoignait l’écurie du producteur de légende Willie Mitchell, aux côtés d’Al Green, Ann Peebles, Otis Clay ou Syl Johnson. Protégée d’Andrew Love des Memphis Horns, fidèle de Marvell Thomas (le fils de Rufus et frère de Carla, deux stars associées au prestigieux label Stax), elle a tourné abondamment avec Luther Ingram et les Doobie Brothers avant de se faire un nom dans l’univers des studios new-yorkais. Choriste recherchée pour sa maîtrise des harmonies vocales, elle a pu côtoyer Dennis Edwards, Betty Wright, Millie Jackson, Luther Vandross, le SOS Band, ou encore le groupe Con Funk Shun.
À son retour à Memphis au milieu des années 1990, Toni décidait de franchir le pas en enregistrant plusieurs albums sous son nom, avec la bénédiction de Willie Mitchell ; à ceci près que l’hégémonie du hip-hop laissait peu de place à la soul et que les recueils de la chanteuse n’ont pas connu tout le succès mérité.
« Tout ça va changer », clame haut et fort Toni, encore surprise d’avoir reçu l’an dernier la visite du producteur Sebastian Danchin, venu lui proposer d’enregistrer avec Malted Milk. « On sonne à ma porte, c’était ce type venu d’Europe. Nous avons discuté, il m’a expliqué qu’il voulait m’enregistrer depuis quinze ans, mais que l’occasion ne s’était jamais présentée. Ma première réaction a été de lui demander pourquoi il avait attendu si longtemps », plaisante Toni. « J’attendais de trouver un groupe capable de jouer ‘in the pocket’ », confirme Danchin en usant de l’expression consacrée à Memphis pour désigner ceux qui possèdent le feeling. « J’avais failli faire appel à Toni il y a quelques années, alors que j’enregistrais un album de Jean-Jacques Milteau dans le studio de Willie Mitchell. Mais il aurait été trop frustrant de l’inviter uniquement sur une plage ou deux. Jusqu’à ce que l’idée me vienne d’associer Toni à Malted Milk, le groupe d’Arnaud. »
Arnaud Fradin, guitariste explosif et chanteur au falsetto dévastateur, possédait effectivement le bagage requis pour un tel projet, pour avoir écumé la scène soul-blues depuis le Tennessee jusqu’en Floride, de Paris à Amsterdam en passant par Londres. À l’heure où le jeune label Nueva Onda Records donnait son feu vert au projet, Malted Milk s’imposait comme une machine de guerre dotée d’un sens du funk incomparable, à en croire Toni : « La première fois que je les ai entendus, je n’en revenais pas. Le batteur, Richard, est incroyable, je n’ai plus croisé quelqu’un d’aussi régulier depuis l’époque de la section rythmique de Hi Records. Un vrai métronome. Les cuivres de Malted Milk sont fantastique, Igor, le bassiste, est incroyablement créatif en studio, tout comme le clavier Tim, le petit dernier du groupe, que je considère un peu comme mon fils. »
Au terme de plusieurs mois de préparation intenses, Milk & Green se sont retrouvés en studio au mois de mars 2014. L’enregistrement, réalisé au studio BoniSon dans la campagne nantaise, s’est déroulé comme un rêve. Au programme de ce supergroupe, une poignée de reprises empruntées à diverses personnalités marquantes : Tommy Tate, l’un des maîtres les plus méconnus de la soul sudiste ; la diva R’n’B Mary J. Blige ; le soulman de Philadelphie Garnet Mimms ; ou encore Syl Johnson et Ann Peebles, dont la gloire reste associée à celle de Hi Records. Arnaud Fradin, leader et chanteur de Malted Milk, s’en explique : « On a voulu enregistrer une version de Slipped Tripped and Fell in Love d’Ann Peebles, précisément pour célébrer les origines de notre musique. Mais il n’était pas question de se contenter de reprises, on souhaitait mettre en avant notre spécificité, et la moitié du répertoire de l’album est constitué de compos originales, écrites et arrangées en studio avec Toni. »
Le résultat final est un reflet fidèle de la soul du 21e siècle telle que l’envisagent Milk & Green. Un cocktail bluesy et funky capable de porter la bonne parole bien au-delà des frontières rétro qui constituent trop souvent la norme sur le marché actuel de la soul. À en juger par les réactions enthousiastes que suscite déjà une bombe comme Just Call Me sur le réseau des radios blacks au États-Unis, ou encore à la vue du triomphe réservé au groupe lors de la cérémonie des Victoires du Jazz en juin, cet album magistral ne laissera personne indifférent. Dès l’annonce de la sortie à l’automne de ce disque événement, Milk & Green étaient invités à partir en tournée à travers l’Europe. Sachant que leurs concerts se multiplieront tout au long de l’année 2015, les amateurs de soul contemporain négligeront d’assister à leurs shows torrides à leurs risques et périls.